For an early death

Curated by Hugo Bausch Belbachir and Thomas Villemin

In collaboration with Les Douches la Galerie (Paris) and New Galerie (Paris). With the generous support of Christine Guibert and Marion Scemama.

For an early death¹

Si le nom d’Hervé Guibert (1955 – 1991) fut mentionné à David Wojnarowicz (1954 – 1992) par son amie et collaboratrice Marion Scemama en 1990, les deux ne se seront jamais rencontrés. Morts à quelques mois d’intervalle, entre l’hiver 1991 et l’été 1992, Hervé Guibert et David Wojnarowicz – tous deux touchés par l’épidémie du SIDA – ont concomitamment déployé leurs forces à l’élaboration d’une œuvre sur l’amour, la sexualité, la maladie et la mort.

Dans leur jeunesse, tous deux aspirent à des rêves d’écritures et de photographies. En 1977, âgé seulement de vingt-et-un an, Hervé Guibert inaugure la rubrique photographique pour Le Monde. Il écrit sur les plus grands noms de la photographie, s’émancipe du seul usage mnémonique du Rollei 35 de son père et côtoie une certaine élite intellectuelle française. Parmi eux, il y a Michel Foucault. Dans son appartement, rue Vaugirard, on échange sur la littérature, la photographie, l’amour, le sexe, la drogue. L’image guibertienne dévoile, entre autres, un désir vivace pour les corps masculins — celui de Thierry ou encore de Vincent. Ils se figent dans des circonscriptions intimes, où la beauté côtoie la présence d’une certaine mélancolie et inquiétude, similaire aux contrastes qu’offre La Mort Propagande². Dans ce premier roman, digne d’une écriture moderne d’Une saison en enfer, l’auteur rend état d’un corps jouissant, agonisant puis mort.

La même année à New-York, David Wojnarowicz arrache le visage de Rimbaud d’une affiche d’Ernest Pignon-Ernest. Il en fait un masque, le porte puis le fait porter à ses amants, ses amis - citant la règle Rimbaldienne des multiples, selon laquelle ‘Je est un Autre’. Un acte qui agit comme la prolongation de son effort d’écriture. En mettant le masque, il revêt le ‘je’ et son démon. Il est à la fois singulier et pluriel ; fier représentant des enfants survivants de l’abandon et de la violence.

En 1980, il fait la rencontre de Peter Hujar. D’abord amant, il devient ensuite un père spirituel qui l’oriente vers l’art visuel et surtout la photographie. Wojnarowicz commence ainsi à documenter, avec des moyens techniques précaires, ses voyages ainsi que la scène artistique et social dans laquelle il évolue au East Village, proche de Kathy Acker, Nan Goldin. Au cours de séances au Pier 34 – hangar déserté qu’il découvrit lors de cruisings et dans lequel il réunira une communauté importante d’artistes et de personnalités – il photographie une culture underground fougueuse et militante contre le système homophobe du gouvernement Reaganien.

Tonne alors le milieu des années 80, capital dans le destin de ces deux artistes. Michel Foucault, en 1984, et Peter Hujar, en 1987, meurt tous deux, des suites de complications dues au SIDA. Dès lors, la mort, obsession de toujours pour Hervé Guibert, devient une réalité inéluctable. Il la voit dans la déchéance de son ami et la confondra avec la sienne, au travers de l’écriture du personnage de Muzil dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie³. Au sein de l’exposition, elle ombrage le visage et vide le regard de ses autoportraits. Tandis qu’il documente l’autodestruction de ses négatifs de jeunesse, il semble apprivoiser la mort dans l’objectif.

Pour David Wojnarowicz, cet évènement intervient également à intervalle rapproché avec l’annonce de son propre diagnostique. Il s’installe alors dans le studio d’Hujar, où il pourra enfin développer ses photographies avec du matériel professionnel, présentés en frises dans l’exposition. D’un Saint-Sébastien criblé de missiles Américains, aux séries d’animaux tantôt captifs, mourants ou cadavériques, David Wojnarowicz met sa peur, sa rage et sa fureur au service de la lutte contre le silence des classes politiques face à l’épidémie. Auprès d’Act-Up et de Gran Fury, il émergera comme une figure centrale de la scène activiste et militante New-Yorkaise.

Face à face, malgré la disparité de leur parcours artistique et politique, Hervé Guibert et David Wojnarowicz nous offrent deux récits qui appréhendent une mort prématurée. Ensemble, ils n’auront échappé à la loi dite Rimbaldienne; ‘Les criminels dégoûtent comme des châtrés : moi, je suis intact, et ça m’est égal.’⁴

Hugo Bausch Belbachir, Thomas Villemin

1. David Wojnarowicz, The waterfront journals, 1996: “My eyes have always been advertisements for an early death”
2. Hervé Guibert, La Mort propagande, Éditions Régine Deforges, 1977
3. Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Éditions Gallimard, 1990
4. Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer - Mauvais Sang, 1873

Contemporary Art Daily
Art Viewer
Daily Lazy

For an early death¹

Although Hervé Guibert’s (1955 - 1991) name was mentioned to David Wojnarowicz (1954 - 1992) by his friend and collaborator Marion Scemama in 1990, the two artists never met. They died within a few months of each other, between the winter of 1991 and the summer of 1992. Hervé Guibert and David Wojnarowicz - both affected by the AIDS epidemic - concurrently developed a body of work during their lifetime that shared musings on the subjects of love, sexuality, illness, and death.

In their youth, both artists aspired to a life pursuit of writing and photography. In 1977, at the age of twenty-one, Hervé Guibert inaugurated the photography column for the national newspaper Le Monde. Publishing texts on the greatest names in photography, he emancipates himself from the sole mnemonic use of his father’s Rollei 35, and rubs shoulders with the French intellectual elite; among them, Michel Foucault. In the philosopher’s apartment on rue Vaugirard, the two engage in exchanges ranging from literature, photography, love, sex, and drugs. Guibert’s images reveal a desire for male bodies by photographing his lovers Thierry, Vincent, and others. Clotted in intimate circumscriptions, the beauty of these images is inhabited by certain melancholia and fear. These contrasting subjects are revealed in La Mort Propagande². In his first novel, the author reports on a body thrown into pleasure, agony, and then death.

That same year in New York, David Wojnarowicz tears Rimbaud’s face from a poster of Ernest Pignon-Ernest. Turning the cut-out into a mask, he wears it, then asks his lovers and friends to wear it, representing Rimbaud’s ‘I’ as Another: an act that operates as an extension of his writing efforts. By putting on the mask, he assumes the ‘I’ and its demon. He is singular and plural at the same time, being a proud survivor of abandonment and violence in his adolescence.

In 1980 he meets Peter Hujar. Following a short romance, Hujar becomes a spiritual father who orients Wojnarowicz towards art-making, specifically photography. The artist begins to document his travels and the creative community of the East Village, with precarious technical means. At this time he will meet Kathy Acker and Nan Goldin. At Pier 34 he discovers a deserted hangar where he would gather an important group of artists and personalities. Wojnarowicz would go on to document a fiery and militant underground culture, raging against the homophobic governance of the Reagan administration.

The middle of the 1980s was a crucial time in the destiny of these two artists. Michel Foucault, in 1984, and Peter Hujar, in 1987, both die due to AIDS complications. From then on, death, a lifelong obsession for Hervé Guibert, becomes an inescapable reality. He sees it with the decline of his friend and will conflate it with his own, through the character of Muzil in À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie³. In his images, death shadows the face and empties the gaze of his self-portraits. While he documents the self-destruction of early negatives made during his youth, he seems to tame death through the lens.

For Wojnarowicz, his spiritual father’s death also occurs at close intervals with the announcement of his own diagnosis. He moves to Hujar’s studio, where he finally develops his prints with professional equipment. In the face of the growing epidemic, Wojnarowicz puts his fear and rage into the fight against the silence of the political establishment, from photographing San Sebastian riddled with American missiles to a series of captive, dying, and cadaverous animals. With Act-Up and Gran Fury, he will emerge as a central figure in the New York activist scene.

Face to face, despite the disparity of their artistic and political backgrounds, Hervé Guibert and David Wojnarowicz offer us two narratives that apprehend a premature death. Together, they cannot escape the Rimbaldian law: ‘Criminals disgust like castrated men: I am intact, and I don’t care.’⁴

– Hugo Bausch Belbachir, Thomas Villemin

1. David Wojnarowicz, The waterfront journal, 1996: “My eyes have always been advertisements for an early death”
2. Hervé Guibert, La Mort propagande, Régine Deforges Editions, 1977
3. Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Gallimard Editions, 1990
4. Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer - Mauvais Sang, 1873

All exhibition documentations courtresy of Thomas Lannes and Fitzpatrick Gallery